Jacques IBERT
« Ce qui compte le plus en art est plus ce qui émeut que ce qui surprend. L’émotion ne s’imite pas : elle a le temps pour elle. La surprise se limite : elle n’est qu’un effet passager de la mode » Jacques Ibert
Compositeur français né et mort à Paris (1890-1962).
Fils unique, son père était commissionnaire en marchandises (et violoniste amateur) et sa mère une pianiste accomplie, petite cousine de Manuel de Falla. Elle l’initia au violon à son plus jeune âge, puis au piano. Après son bac, il s’inscrit à l’insu de ses parents à un cours de solfège et harmonie (pour 1 franc par mois). Il est aussi passionné de théâtre, mais devant l’hostilité de ses parents, il décide de se consacrer à la musique. Sur les conseils de M.de Falla, il se présente au conservatoire de Paris où il sera admis dans les classes d’harmonie, de fugue et contrepoint et composition entre 1911 et 1913. Il a pour condisciples Darius Milhaud et Arthur Honneger. Ils resteront amis toute leur vie. Pour gagner sa vie, il donne des leçons, improvise au piano sur les films muets des cinémas de Montmartre et écrit des chansons populaires musiques de danse en utilisant parfois le pseudo William Berty…
La guerre de 1914-18 interrompt ses études. Mais en 1919, encore sous l’uniforme, il se présente au concours du Prix de Rome contre l’avis de ses maîtres (« une blague qu’on ne fait pas deux fois » dira-t-il), mais remporte le 1er grand prix avec sa cantate « Le poète et la fée ».
Durant ses années à Rome, J.I. développera une prédilection pour les instruments à vent qui le poursuivra toute sa carrière. « Je suis attiré (disait-il) par ces instruments, peut-être par chalenge à les employer de façon convaincante, peut-être aussi en réaction contre le traitement préférentiel donné aux cordes à cette époque ». Il faut dire que dans les années 20, les compositeurs « parisiens » affectionnent les vents, particulièrement Igor Stravinsky avec sa Symphonie pour vents (1920) et son octuor (1923) ; mais aussi Ragtime et L’histoire du soldat (1918) ou le Concerto pour piano et vents (1923-24) donnant la part belle à ces instruments. J.I. lui-même admettra l’influence de Stravinsky sur son style.
Il est noter qu’en dépit des idées qu’il partageait avec ses contemporains, J.I. ne s’est jamais associé avec un groupe ou un courant à l’image du « Groupe des six » (D.Milhaud, A.Honneger, G.Tailleferre, G.Auric, L.Durey et F.Poulenc), même si cela aurait sûrement soutenu sa réputation : il a toujours aimé et gardé son indépendance. « Pour moi, pas de système. Tous les systèmes sont bons, pourvu qu’on y mette de la musique… »
Dans l’intervalle entre son retour de Rome et la 2ème guerre mondiale, il donnera beaucoup d’énergie à écrire pour la scène et le cinéma (+ de 60 musiques de film et 1 dessin animé : « les aventures de Boro et Tiss »), mais n’abandonnera pas ses compositions classiques. Entre 1934 et 1937, il écrit trois concerti majeurs : celui pour Flûte (1934) avec M. Moÿse à la création, le Concertino da Camera pour saxophone (1935) et son Capriccio pour 10 instruments (1937) dans la même veine que le 1er mouvement du concertino da camera. Avec ces pièces, il continue ses recherches sur les vents débutées à Rome (avec notamment un concerto pour violoncelle et vents (1924) ; 1ère pièce avec cette nomenclature).
En 1937, il est nommé directeur de l’Académie de Rome (et donc de la Villa Médicis) où il restera jusqu’en 1960. Son activité de compositeur (mais aussi de chef dirigeant ses œuvres) le mènera souvent aux Etats-Unis. En 1956, il est élu à l’institut de France.
Une crise cardiaque le terrasse le 5 février 1962 à son domicile parisien.
" De tous nos compositeurs, Jacques Ibert est certainement le plus authentiquement français. Il est aussi le chef incontesté de notre école contemporaine... L’art de Jacques Ibert échappe à l’épreuve du temps car il est, avant toute chose, essentiellement classique de forme. Mais quelle imagination dans l’ordre, quelle fantaisie dans l’équilibre, quelle sensibilité dans la pudeur... " Henri Dutilleux, déclaration aux Jeunesses Musicales de France le 15 février 1945
Concertino da Camera pour saxophone alto et onze instruments
1935 (dédié à Sigurd Rascher) Editions Leduc
(quintette à cordes, quintette à vents, 1 Trpt)
Allegro con moto
Larghetto- Animato molto (Total 12mn)
Il semble qu’il y ait une double racine à l’écriture du Concertino : la 1ère liée à cette période du compositeur dévolue au vents et la seconde associée à la ténacité de Sigurd Rascher à convaincre I. d’écrire pour son instrument.
S.Rascher s’est fait recommander auprès du compositeur par Mme Marya Freund qu’il avait rencontré à Strasbourg en 1933, lors d’une conférence musicale. Il fut reçu par J.I. en son appartement parisien et passa l’après-midi à montrer les possibilités et vanter les qualités de son saxophone alto. Selon S.R., les questions du compositeur devinrent de plus en plus précises au fil du temps et quand il lui demanda d’écrire pour lui, J.I. répondit : « oui, un concerto pour saxophone, avec plaisir ! »
En 1930, I. avait écrit son Aria pour piano et au choix pour flûte, saxophone alto, clarinette, basson, Vl, Vla ou Vlc et n’était donc pas hostile au saxophone. Quand S.R. fit sa demande, il terminait son concerto pour flûte.
Les réalisations de S.R. lui avait fait une réputation d’éminent soliste. Il s’était déjà produit avec l’orchestre philharmonique de Berlin en 1932, ce qui lui avait ouvert les portes de plusieurs orchestres européens. Cela a peut-être aussi encouragé J.I. dans son engagement.
En écrivant son Concertino da camera, il prit des options inhabituelles, tout d’abord dans ses choix pour l’instrumentation. Il connaît la formation de quintette à cordes à travers ses œuvres orchestrales (il n’écrira qu’un quatuor à cordes un peu plus tard entre 1937 et 1942) et le quintette à vents avec ses Trois pièces brèves écrites en 1930. L’adjonction, qui pourrait sembler logique, d’un quintette de cuivre ne fut pas retenue par soucis d’équilibre. La trompette est utilisée en opposition aux couleurs des deux quintettes ou en effet de fanfare associée au cor. J.I. inclut une note spécifiant que le quatuor à cordes (donc sans la contrebasse) pouvait être augmenté selon les besoins (pour les programmations avec grand orchestre par ex.), mais sa préférence reste la clarté et l’équilibre…
Le titre de concertino peut aussi souligner le choix de cette instrumentation légère. A l’origine du concerto grosso, le concertino est le petit groupe de soliste « opposé » au grosso : l’orchestre.
L’autre volet inhabituel se trouve dans la partie de soliste où l’influence de S.R. est sans équivoque. Tout d’abord dans l’utilisation du registre suraigu du saxophone (jusqu’au lab soit une 10ème m. au-dessus du Fa aigu ; limite du registre de l’époque) dans sept passages. Certes, ce n’est pas la 1ère pièce utilisant ce registre, car le concerto de Larsson fut crée par S.R. en 1932 et ce dernier cherche à convaincre les compositeurs à l’intégrer régulièrement. Mais en proposant ces phrases « altissimo » (et non quelques notes), J.I. prenait un risque indéniable ; S.R. étant a priori le seul à le maîtriser pleinement. L’après-midi où S.R. montra les possibilités de son alto fut certainement convainquant, mais plus certainement, J.I. eut la conviction et la confiance dans l’intérêt artistique de ce registre suraigu. Il avait d’autre part déclaré : « Dans mes concertos, j’ai donné aux instruments des thèmes qui correspondent à leurs qualités sonores et respectent leurs possibilités expressives ».
Autre influence directe du saxophoniste : l’emploi du slap (dans la cadence), effet qu’il affectionne particulièrement.
Le 1er mouvement fut joué à Paris le 2 mai 1935 (salle Chopin) dans le cadre des concerts de la société de musique contemporaine « Le Triton » avec S.R. sous la baguette de Hermann Scherchen. Le succès fut immédiat. La création complète fut faite le 11 décembre de la même année à Winterthur (Suisse) avec les même protagonistes. Sur invitation de la Société Internationale pour la Musique Contemporaine, le concerto était repris au « Palau de Musica » de Barcelone le 20 avril 1936 avec S.R. et sous la direction cette fois-ci du compositeur lui-même. Il était une nouvelle fois plébiscité par le public mais aussi par la presse tel qu’en atteste un article de « La revue Musicale » de juin 1936. Marcel Mule, quant à lui, joua pour la 1ère fois le concertino début 1936 lors d’un concert radiophonique sur Radio-Paris. En 1958, Charles Munch et le Boston symphony orchestra invite le maître français pour une tournée de 12 concerts à travers les Etats-Unis avec Ibert et la Balade de Tomasi au programme. Le saxophone classique en tant que soliste est alors au faite de sa reconnaissance !
Différences entre le manuscrit et la partie éditée du saxophone
Plusieurs différences (notamment du détaché sur la partie soliste) apparaissent entre les deux et sont le signe de discussions entre le compositeur et le dédicataire, mais aussi M.Mule. En effet, avant l’édition de la partie solo, J.I. consulta ce dernier. Les deux hommes avaient tissés une solide amitié de leurs fréquentes rencontres à Paris lors des séances d’enregistrement des musiques de film du compositeur. M.Mule émit « des réserves sur l’emploi du registre suraigu », mais proposa l’inscription 8b ad lib pour l’impression (ce dont S.R. lui sera gré). Pour les articulations, il s’agirait d’une proposition de M.Mule pour « créer une tension musicale en l’absence de jeu à l’octave supérieur »; pratique qui est devenu une tradition française. (M.Mule n’aimait ni ne pratiquait pas le suraigu…).
1er mouvement
Manuscrit
Partie solo éditée
« Tradition »
Manuscrit
Partie solo éditée
3ème mouvement (6 après 37)
Manuscrit
« Tradition »
Partie solo éditée
Cadence
Dans la 1ère édition
Il est à noter que le manuscrit ne comporte pas les (+) : slap (proposition de Sigurd Rascher)
Les éditions suivantes ont remplacées les (+) par des ( ' ) : la « griffe », détaché sec
A noter aussi le La bécarre (plus logique) que le La# écrit sur manuscrit et sur la 1ère édition
1ère possibilité